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Inauguré le 8 novembre dernier par le président Emmanuel Macron, en déplacement aux Emirats Arabes Unis, le Louvre Abu Dhabi n’a pas encore fini de parler de lui. Son premier mouvement marketing, quelques semaines après l’inauguration: annonce qu’il exposera "le tableau le plus cher du monde", le Salvador Mundi de Léonard de Vinci, mis aux enchères pour 450 millions de dollars en novembre.
![]() Le Louvre Abu Dhabi - un projet lancé il y a dix ans sous Jacques Chirac et signé par l’architecte Jean Nouvel (qui a également conçu l’Institut du monde arabe) - devrait rapporter près d’un milliard d’euros à la France. ![]() Je dis toujours que l’architecture est la pétrification d’un moment de culture. Un projet n’est pas une intuition. Un bâtiment est témoin d’une époque. Elle appartient à une histoire, une géographie, une ville, une culture locale qu’elle prolonge, contredit et avec laquelle elle dialogue. C’est une aventure à chaque fois. Cette pétrification est toujours un mystère. Vous dites que nous avons tendance à oublier que l’architecture reste un art ... L’architecture est l’art de construire. J’ai toujours pensé qu’au 21e siècle, l’architecture prendrait le pas sur la construction. Depuis un siècle, on débat de ce qu’est l’architecture et de la construction. On pourrait penser que le domaine de l’architecture allait s’étendre. Mais en fait, c’est le contraire qui s’est produit. Aujourd’hui, 95% des bâtiments construits ne sont pas abordés sous l’angle de l’art. De plus, tous les développements urbains suppriment cette possibilité. Parce qu’un architecte, aujourd’hui, se retrouve devant un immeuble appartenant à un zonage, qui appartient à un gabarit, qui contient plusieurs mètres carrés ... et puis c’est fini. Nous sommes très loin de l’extension de l’architecture comme art. Quels ont été les débuts de votre travail sur le "Louvre des sables"? J’ai été nommé architecte du futur quartier artistique de Saadiyat. A l’initiative des Emirats Arabes Unis, le directeur du Guggenheim a été mandaté pour établir la stratégie de développement de ce quartier culturel. Son idée? Proposer cinq grands bâtiments, avec la plus grande concentration d’objets d’art au monde. En plus du musée des civilisations dont j’ai pris soin, il y aura le musée national Sheikh Zayed de Norman Forster, le Guggenheim-Abu Dhabi de Frank Gehry, toujours en construction, une salle de spectacle conçue par la tristement décédée Zaha Hadid, et un musée marin conçu par Tadao Ando. L’architecture n’est-elle pas devenue un art réservé aux riches? Quand on est invité à participer à un tel programme, il est impossible de refuser. Il s’agit de concrétiser l’âge d’or d’Abu Dhabi, qui a connu une montée économique exceptionnelle ces dernières années. Les grandes villes et les bâtiments sont toujours comme ça. C’est la puissance économique de villes comme Venise, Paris, Londres, New York qui, à leur apothéose, a généré les plus grands projets architecturaux. Ce n’est pas le premier musée que vous construisez, mais c’est la première fois que vous dessinez une "ville musée". Un musée doit être ouvert. Je défends la conception grecque de l’Agora: c’est un lieu de rencontre, d’échange et de dialogue. Le musée fait partie de la ville et n’est pas un bâtiment dédié à la conservation. En tant qu’architecte contextuel, je souhaitais que ce bâtiment appartienne à la culture du lieu. J’ai voulu exploiter les caractéristiques de l’île: la présence de la mer, du ciel et du sable qui sont les trois éléments constitutifs de Saadiyat. Ce sont aussi des éléments hautement symboliques, car lorsque l’on travaille sur un musée "universel", ces éléments deviennent vitaux. Un immense dôme de dentelle protège ce bâtiment. Pourquoi ce choix? Plus qu’un bâtiment, cette médina se compose des différents volumes blancs des galeries du musée. Je voulais surtout envelopper cette «ville culturelle» d’un microclimat. Je l’ai abrité sous un grand parasol. Un dôme d’un diamètre, à sa base, de 180 mètres, formé de plusieurs épaisseurs de mantilles métalliques. Ce dôme blanc traite de la dimension spirituelle du lieu. C’est un dôme de pensée qui protège les idées qui se croisent et se rencontrent. Ce dôme, perforé par la lumière, a également une dimension cosmographique: comme tous les dômes, il est le symbole du ciel. Vous êtes un architecte contextuel. Comment le monde arabe et sa culture vous ont-ils inspiré? Quand j’ai construit l’Institut du monde arabe, j’ai évidemment pensé à cette culture. Mais ce n’est pas un "bâtiment arabe", juste un hommage. Mais il n’y a pas de confusion entre les problèmes qui se posent aujourd’hui et la profondeur de la culture arabe. Toutes les civilisations ont leur grandeur. Et la civilisation arabe est au milieu de tout cela. Il fallait un endroit qui ouvre des fenêtres à toutes les civilisations à travers les âges. La grande majorité des œuvres racontera l’histoire ancienne des civilisations, des cultures et des religions, illustrée notamment par l’exposition d’une feuille du Coran bleu, d’une Bible gothique et d’un Pentateuque. Il s’agit d’envoyer un message de tolérance. Il faut aller dans ces pays pour les comprendre. Il faut une autre conscience politique. Je défends la position opposée. Mes projets sont tous très différents. Je me sens obligé d’être dans la singularité. Car à l’échelle urbaine, on se retrouve face à une immensité de bâtiments déconnectés de tout sens ... car déconnectés de leur site, du contexte et de l’histoire de la ville ou du pays. Cette situation, n’est-ce pas, au fond, la photo d’une société occidentale elle-même un peu figée? ![]() Je pense que c’est plus dû à l’extrapolation du style international. Aujourd’hui, avec les ordinateurs, les immeubles de bureaux, les maisons ou les centres commerciaux sont à peu près tous basés sur les mêmes typologies. Nous modifions certains paramètres, le bâtiment arrive à la bonne dimension et c’est fini. Mais ce n’est pas de l’architecture. |
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